Jean David NkotUne œuvre, un poème, un artiste / Jean David Nkot
Partenariat Kokutan Art (festival photos)

Focus sur une œuvre : Comme pour dire, Les Fleurs du mal ivoirien / Pierre Garel

Pierre Garel est photographe, professeur d’art et peintre contemporain franco-burkinabé. Depuis plus de vingt ans, il vit et travaille au Pays des hommes intègres. Dans cette œuvre, présentée dans une collection d’une dizaine de tableaux datant des années 2000, l’artiste polyvalent fait un clin d’œil, un zoom sur la douleur vécue pendant la crise politique ivoirienne de 2005.

 

L’ensemble allie peinture, collage de photo et journal. C’est une composition en technique mixte qui présente en haut, une partie jaune surplombant une variation de couleur rouge, grise et blanche sur fond d’un journal placé à l’envers. En bas deux rectangles sécants divisent en deux le buste d’une femme au bras amputé. Une lumière qui vient de la gauche illumine le visage de cette femme.

La lumière apparait comme l’aspect le plus réussi du tableau. En fait, la lumière, le peintre en use comme une torche sur les ténèbres d’un peuple déchiré par la guerre. Comme un appel à la raison devant tant de souffrances dont les femmes sont les plus touchées, la lumière découvre une femme dont les traits de visage en disent long sur la douleur : un visage sans couleur, les yeux à moitié fermés comme une vie qui s’éteint, un visage sans regard véritable, un visage pale. La douleur, c’est aussi ce chaos de couleur sans harmonie qui frappe le spectateur à première vue ; un désordre total, illustratif de toute l’incompréhension des Hommes devant tant de haine et de violences. La douleur, c’est enfin ce bras coupé et ce rouge, le sang dont Garel a su tacher le tableau sur une grande partie. Une autre réussite de cette œuvre est ce journal que le peintre a astucieusement inséré dans la composition. Un journal à l’envers dénonçant toute la presse corrompue qui a agit comme de l’huile sur le feu au lieu d’œuvrer à l’éteindre tel que le veut sa mission.

 

Dans ce tableau, Pierre Garel a gagné le pari du choix des objets et de la composition, utilisant les outils qu’il faut pour dire ce qu’il faut. Mais le peintre burkinabé a péché par le centre. En effet, s’il avait placé, ne serait-ce que la figure de cette femme au bon milieu du cadre, il l’aurait mise au centre de la question. Garel allait, ainsi, montrer que la femme qui devrait être la raison centrale pour laquelle les hommes devaient à tout prix éviter la guerre, était-ce pour le pouvoir, s’est retrouvée au cœur des violences et donc innocentes mais principales victimes d’une barbarie qui n’a pas non plus épargné ces enfants. Souvenez-vous de Zao, le Congolais : « quand il y a la guerre tout le monde va ‘‘cadavrer’’ ».

 

C’est donc là, non sans erreur, une grande œuvre qu’a réussi Pierre Garel dans ce tableau. Une œuvre dont la contemporanéité n’a d’égale que son intemporalité quand on sait qu’au-delà de la R.C.I, c’est, aujourd’hui, presque toute l’Afrique de l’ouest qu’embrase, aujourd’hui, une autre crise sécuritaire, celle du sahel, devenu un véritable Afghanistan, avec des attaques meurtrières fréquentes qui nous endeuillent régulièrement au Nigéria, au Niger, au Burkina Faso, jusqu’en Côte d’ivoire (Grand Bassam, 13 mars 2016), une création d’une originalité, d’une esthétique et d’une expressivité qui, de loin, dépassent la moyenne. Comme l’a dit : François Mitterrand donc, « l’erreur n’annule jamais la valeur de l’œuvre accomplie ».

 

Hamidou Idrissa Moussa – Médiateur culturel, Historien et critique d’art – ABA mag’
Artiste : Pierre Garel
Photo : DR

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