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Alhousseini Yayé Touré – Le souffle

Presqu’un triptyque mais un vrai Touré

Alhousseini Yayé Touré est un artiste plasticien nigérien. Peintre abstrait, il croupit sous le poids d’une longue formation et d’une expérience hors pair au Niger. Une carrière remplie qui l’a amené à exposer jusqu’en Europe (en France et en Espagne notamment).  Touré compte parmi les plasticiens nigériens qui ont le plus de renom.

Dans cette œuvre intitulée Le Souffle, Alhousseini Yayé Touré nous propose une composition qui allie apparat et profondeur. Le tableau (acrylique sur toile) est abstrait comme c’est l’habitude chez le peintre,  avec du collage et, dans une certaine proportion, du pigment naturel minéral.

La première chose qui frappe quand on regarde cette œuvre est son éclat : dans un fond à dominance pourpre, Touré réussit à placer ici et là du jaune, du bleu et du vert dans un jeu avec la lumière et l’obscurité qui laisse apparaitre un ensemble réussi en harmonie de couleur et en splendeur. Un ensemble donc qui laisse percevoir Le Souffle de loin.

But Le Souffle dont il est question dans ce tableau est multiple : outre les couleurs, il y a les motifs, il y a aussi les allusions. En fait l’œuvre se lit en trois scènes, elle est évolutive ; un véritable triptyque dans une œuvre unique. De gauche à droite, le cadre se divise en trois tableaux distinctement séparés où se présentent les mêmes motifs sous différentes variantes dans leurs formes, leurs tailles et leurs dispositions. A gauche, au repos, une lune (de couleur or) trainant un sillon comme un appendice et flirtant avec des corps de formes rectangulaires horizontaux et verticaux.

Ces motifs se gonflent au milieu jusqu’à littéralement éclater, avec la lune qui se mue en plusieurs ondes pouvant également être vues comme des vagues, rouges comme de la lave, dans un volcan en pleine éruption. C’est comme si ces formes, sous le pinceau de l’artiste s’adressaient à nous : « les tristesse évoluent dans la vie, ou bien elles s’amoindrissent ou elles s’amplifient. les joies aussi. »

Du centre, ce volcan de nos joies et tristesses éclaboussent le troisième tiers du tableau pour s’y étirer pendant que les autres corps changent de place et se transforment à nouveau pour illustrer une autre vérité : « nos problèmes, nous devons les résoudre. En les déplaçant, nous les étirons, nous les étalons, nous les élargissons. »  Dans une de ses chansons phares, Gnézé, l’artiste ivoirien du Zouglou, Soum Bill nous conseille : « sachons résoudre nos problèmes au lieu de toujours les déplacer. »

En fait, ce tableau mime le temps. Le temps qui voit naitre nos joies et nos tristesses. Le temps par l’écoulement duquel, ces tristesses et joies évoluent, s’accentuent ou s’amenuisent. Le temps qui voit tout s’estomper pour faire place à d’autres joies et tristesses comme pour dire : « ainsi va la vie ». Touré, ici donc, expose le temps, faisant écho à La Joconde (début du 15e s), le chef d’œuvre de l’artiste italien de la renaissance. La Joconde de De Vinci matérialise le temps dans un portrait de femme assise à l’avant-plan d’un paysage chaotique.

Mais contrairement à celle du peintre italien qui est figurative, la vitrine dont use Touré est abstraite et c’est là une véritable prouesse quand on sait qu’il est moins aisé de faire parler le temps par des signes plutôt que par des formes réelles.

L’autre prouesse de l’artiste nigérien est de réussir à imprégner son œuvre du patrimoine culturel nigérien en l’essaimant de ces petites rondes, bâtonnets et sortes de gouttes empruntés aux arts ancestraux du Niger. Le peintre, ainsi, fait souffler nos ancêtres dans notre vie présente comme pour prouver qu’en Afrique, le passé n’est jamais loin et fini, il s’invite par intermittence dans le présent pour nous ressourcer, nous orienter, nous identifier par rapport aux autres. Dans la postface de son recueil de poème Ethiopiques (1956), l’ancien président sénégalais, chantre de la négritude écrit dans une formule dont il a le secret : « nous sommes comme des lamantins qui retournent boire à la source. »

D’une éloquente abstraction, ce tableau est éminemment caractéristique de l’œuvre de son auteur. Outre tous les sens qu’il peut revêtir, Le Souffle peut simplement se lire comme un ensemble de formes allongées, courbes et circulaires. Ces formes récurrentes dans les tableaux de Touré apparaissent comme des fluides en mouvement qui coulent les unes dans les autres pour dire que « rien n’est carré et isolé dans la nature ; les hommes, les animaux et les chosent se côtoient et bouillonnent dans la même soupe de la vie ».

Le Souffle, une des toutes dernières créations d’Alhousseini Yayé Touré, une œuvre inspirée et travaillée, une véritable création comme c’est souvent le cas chez le peintre abstrait du Niger.

Hamidou Idrissa Moussa
Historien et Critique d’art

Alhousseini Yayé Touré
alhousseini yayé touré

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Ses œuvres

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