Instant poétique / La réconciliation
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7e art / un certain regard sur le film du dictateur africain / Le damier

La politique en Afrique : singulière, intrigante, fascinante pour les cinéastes. Celui-là, en tout cas, y a pris gout. Après un documentaire sur Thomas Sankara en 1991, le réalisateur congolais Balufu Bakupa Kanyinda nous amène une fois de plus en croisière sur les eaux troubles du pouvoir d’Etat en Afrique.

 

Produit en 1997 par Myriapodus Film, cette fiction intitulée Le Damier, est un court métrage de 40mn, en noir et blanc avec l’acteur Dieudonné Kabonga Bashila dans le rôle principal de Papa national et Yves Mba dans celui du champion.
Ce film parle donc politique. L’action se passe la nuit au palais présidentiel. Un chef d’Etat, l’exemple type du dictateur africain, à qui, comme à son habitude, on amène un champion de jeu de dames (son jeu favori), un citoyen dont l’état, l’attitude et les mots révèlent au spectateur la situation de précarité dans laquelle végète le peuple de ce pays mais aussi l’horrible opinion que ce peuple a d’un président totalement coupé de la réalité.

 

Au début de la partie, le citoyen joue mal, il est timide; il a faim « on ne mange que tous les deux jours ». Le Président ordonne alors qu’on lui donne à manger, à fumer aussi, même du bangui, la drogue. Une fois repu et ivre, le citoyen se déchaine, ce n’est plus le même joueur, c’est un champion maintenant. Pire il est bavard, trop bavard, il est loquace. Il se rit du Président, il l’insulte, le traite de « tous les noms insupportables » : « je m’en vais te remettre à ta place de pion, espèce de petit pion, je suis le champion », « idiot », « minable », « illusion de petit chef »… Est-ce même des insultes ? N’est-ce pas là tout ce que le peuple pense réellement de son Président ! Le jeu est clair. Le pouvoir rend fou, la folie donne le pouvoir aussi.

 

L’image n’est pas en reste dans cette caricature du pouvoir. L’image, c’est sans doute la grande prouesse réussie dans ce film ! Bakupa-Kayinda a, en effet, réussi un film où l’image est plus éloquente que les mots. Souvent filmé en contre-plongée, le Président écrase le citoyen qui apparait en plongée. Les plans sont donc assez parlants. Aussi, le combat pour la liberté dans Le Damier, prend, au début du film, la forme d’images : un texte, extrait du cahier de Césaire ; puis le président zappe sur la télé, Apocalypse now de Francis Coppola ; ensuite c’est Kadafi… Quant à la musique, elle en dit long sur les velléités panafricaniste du réalisateur : Africa dipanda de Franklin Boukaka, Manu Dibongo et Aicha Koné.
Cependant, les créations les plus réussies ne manquent pas d’insuffisances. Et si quelque chose n’a pas marché dans Le Damier, c’est assurément son comique, avec un citoyen qui exagère dans son délire, son insolence devant l’autorité, les insultes faites au Président. Il y a aussi la scène qui montre la première dame, une scène aussi inutile qu’elle ne semble ni claire, ni en rapport avec l’action du film.

 

Enfin, le lieu de l’action (nulle part mais qui peut être partout en Afrique), le personnage du président qui peut renvoyer à presque tous les dictateurs africains (le titre de Président à vie de Bokassa, le visage et la voix de Mobutu, le boubou de Yaya Djamé, la canne de Eyadéma, le côté papa du président Tandja…) auxquels s’ajoute la misère du peuple, font de ce film une chemise adaptable que peut porter chaque Etat du continent. Le Damier, Papa national oyé, un véritable miroir sur nos Etats, un film plein de questionnements sur le pouvoir et les rapports gouvernants-gouvernés en Afrique, un film à voir absolument.

 

Titre du film : Le damier
Réalisateur : Balufu Bakupa Kanyinda-Congo

Lien vers le film en VO sous titrée en anglais sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=d_CHu4IAyAw&t=6s

 

Hamidou Idrissa Moussa – Historien et Critique d’art – Africa by Art
Photos : DR

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